J’ai toujours été étonné par le fonctionnement de la mémoire. Et toujours été effrayé par la fragilité de celle-ci. Qu’est-ce qui dans notre cerveau décide, dans le continuum d’évènements à graver, lesquels seront plus importants ? Lesquels seront toujours la, lesquels resteront enfouis des années dans l’attente d’un potentiel révélateur qui les extirpera de leur brume, et lesquels partiront définitivement dans les limbes ?
Pourquoi, alors qu’on voudrait éperdument se souvenir dans les moindres détails de certaines journées, de certaines heures, il ne reste que des flashs, des images fugaces, des battements de c½ur, de plus en plus flous, éthérés ? Qu’est-ce qui est tellement important pour prendre leur place ? L’odeur de peinture dans le hall de l’immeuble ce matin sera-t-elle vraiment plus importante que le parfum de ses cheveux ? Le journal du matin à la radio devrait-il prendre la place des sujets de conversation d’une nuit d’il y a quelques années ? Pourquoi doit-on toujours oublier la plus grosse part de ce qu’on ne veut pas oublier ? Comment retrouver ce qui est toujours la, enfoui, mais trop faible pour s’exprimer ?
Pour lutter contre la « fuite » de mémoire, j’ai pris l’habitude d’archiver toutes mes conversations privées écrites, depuis plus de dix ans. Des années de discussions où on parle de tout et de rien, de mails inutiles, de mots douloureux. C’est vraiment difficile d’y replonger, d’affronter le soi d’il y a 7 ans, et de se dire que c’était un crétin fini. C’est encore pire de relire certains messages, de comprendre des choses avec l’expérience acquise depuis… et de réaliser qu’aujourd’hui malgré tout, on aurait probablement agit pareil. Car même si on évolue, on ne change jamais totalement au fond.
Quoi qu’il en soit, je trouve du réconfort en ce moment à pouvoir fixer une date précise à des flashs de ma mémoire, à la préciser, et à sauter d’image en image dans le tourbillon ainsi créé.
Voici quelques-uns de ces « random beats » qui m’ont traversé le cerveau récemment, surement sans intérêt pour un lecteur, mais en cette nuit, je me dois de les coucher par écrit.
Fin juillet 2003… Impossible de me souvenir du jour exact, impossible de retrouver sa trace, nulle part. J’en avais assez d’être chez moi, j’avais besoin d’air à tous les niveaux, je me suis retrouvé à la terrasse du Saint Graal pour la première fois depuis… plus d’un an ? Seul avec mon verre, dans l’après-midi. En montant la rue du Cardinal Lemoine peu avant, j’avais envie de la voir. A peine plus tard, j’étais exaucé.
14 aout 2003, dans l’après-midi. Je répare un ordi sans arriver à jamais me concentrer sur ce que je fais. Les nerfs à fleur de peau, je passe par le square pour rentrer chez moi et m’arrête un moment devant le bassin et les canards. Pourquoi est-ce que je devais rentrer, déjà ?
16 août 2003 – Soirée Cafzone au Graal, d’abord en terrasse, puis à la salle du fond. Beaucoup de monde, beaucoup d’alcool. Un regard, une photo.
<beat>
Nuit du 5 au 6 juin 2004 – Nous sommes dans un appart à écouter de la musique étrange, et à boire une bouteille de St Émilion. Le jour arrive, je ne veux pas la laisser partir.
7 juin 2004 – A l’UGC des Halles, Kill Bill vol. 2. Deux types n’en ont visiblement rien à faire et se parlent d’un bout à l’autre de la salle.
<beat>
21 août 2004 – Après une première nuit blanche, une journée de paint-ball, et quelques mojitos à Bastille, je traverse la Seine vers 1h du mat pour rejoindre le Graal. Je finirai la nuit sur les quais à discuter, sans faire attention. Je m’en veux terriblement.
<beat>
4 février 2006 – Premier jour de tournage de BFH, la partie plus dure : la soirée.
<beat>
21 juin 2008 – Fête de la musique rue des Écoles. Surprise. Joie. Choc. Mélancolie.
<beat>
19 décembre 2008, approximativement à cette heure, à l’angle de la rue Mouffetard et de la rue de l’Arbalète. Sept ans. Trois ans. Une vie, un instant, une éternité. Un rêve et un cauchemar. Huit heures, quelques moments ?
19 décembre 2008, entre 7 et 8h. Je fais demi-tour et m’enveloppe dans ma cape. Le square est fermé et il n’y aura pas de canards aujourd’hui.